top of page
Rechercher
Magali Crespin-Alliane

«Ce n'était pas douloureux. Ce n'était pas censé l'être, n'est-ce pas docteur?»

Dernière mise à jour : 26 nov. 2018


Une nuit de 1913, à Londres, le jeune interne en obstétrique Grantly Dick-Read (1890-1959) est appelé au chevet d'une femme sur le point d'accoucher, dans le quartier défavorisé de Whitechapel. Après avoir pédalé sous la pluie et dans la boue, il atteint enfin un bâtiment insalubre, dont il grimpe l'escalier sombre. Le médecin découvre alors une petite chambre à la fenêtre cassée, où pénètre la pluie battante. Seule une bougie fichée dans une bouteille de bière éclaire la pièce. L'atmosphère est calme et sereine. Voyant poindre la tête du bébé, Grantly Dick-Read tente de convaincre sa patiente d'accepter un masque au chloroforme, afin de la "soulager". L'utilisation de ce masque anesthésiant était très en vogue depuis que, en 1853, la reine Victoria avait demandé à accoucher de son huitième enfant sous chloroforme, créant ainsi la mode de "l’accouchement à la reine". Toutefois, à la surprise de Dick-Read, la jeune femme refuse le masque, poliment mais fermement. «C'était la première fois durant ma courte expérience que je me voyais refuser du chloroforme » *, écrit-il. Le bébé naît, dans le calme et sans bruit, l'accouchement se déroulant comme « selon un plan pré-établi ».

Avant de quitter les lieux, le médecin demande à la femme la raison de son refus du masque au chloroforme. Celle-ci répond, timidement : « Ce n'était pas douloureux. Ce n'était pas censé l'être, n'est-ce pas docteur? » *

A partir de là, cette réponse tourne dans la tête de Grantly Dick-Read à chaque fois qu'il se trouve en présence d'une femme "en travail", et il s'interroge : pourquoi la plupart d'entre elles semblent tant souffrir durant leur accouchement quand certaines le vivent apparemment sans douleur ? Il en déduit une théorie selon laquelle les croyances sur les douleurs de l'accouchement jouent un rôle majeur dans la difficulté que les femmes rencontrent lors de leur propre accouchement, ainsi que les suggestions négatives de l'entourage et du personnel médical :

« Le ”Sois courageuse, ma chérie”, prononcé par une mère blême, qui sort de la pièce avec un regard de compassion appuyé, est un excellent déclencheur de douleur »*. Pour l'obstétricien, il devient évident que s'il n'y a pas de peur, il n'y a pas de tension musculaire, le col de l'utérus est capable de se relâcher et de s'ouvrir naturellement, donc pas de douleur.


Cours de préparation à l'accouchement, 1955, Grantly Dick-Read, crédit: wellcome images

A la fin des années 20, Dick-Read met au point une méthode de préparation à l'accouchement. Elle est basée sur l'enseignement théorique de l'accouchement, ainsi que sur des exercices physiques et de relaxation.

En 1942, il théorise, dans Childbirth without Fear, ses recherches sur les liens peur-tension-douleur et introduit l'idée d'utiliser l'autosuggestion lors de l'accouchement.

Bien sûr, les choses ne sont pas aussi simples et chaque femme vit chaque accouchement, dans son corps, dans ses ressentis, d'une manière qui lui est tout à fait personnelle et unique.

Mais pensons-y quelques instants : si notre société (notamment les médias de masse) cessait d'asséner aux femmes que l'accouchement est teeeeellement douloureux, si l'on cessait de leur faire croire qu'il ne peut pas en être autrement, qu'elles ne pourront pas surmonter ça sans une anesthésie, que se passerait-il ? Sans doute pourraient-elles aborder ce moment avec davantage de confiance et ainsi puiser en elles les ressources leur permettant de prendre la mesure de leur puissance, déployer cette puissance et se réapproprier la naissance de leur enfant.

Dans les séances d'hypnose périnatale, il suffit parfois, pour que l'appréhension de la contraction s'estompe, de rappeler que le but d'une contraction n'est pas de nuire à la femme, mais bien de l'aider à faire naître son enfant, que c'est une vague qui, petit à petit, amène le bébé vers les rivages de sa maman.

Quand l'image mentale qu'une femme s'est fait de son accouchement est emprunte de puissance et d'assurance, d'amour et de confiance en elle et en son enfant, alors elle vit ces sentiments et ces émotions dans son corps et dans son esprit. Elle ne subit plus. Et cela change tout.

Quand cette mère, son bébé et le second parent sont placés au cœur de la grossesse et de l'accouchement, ils prennent leur place d'auteurs de cette naissance, ils prennent possession de cette histoire, quelle qu'elle soit. Et cette puissance leur permet d'être pleinement dans le moment qu'ils vivent. Présents, ancrés.

* Les citations sont traduites de l'anglais par l'auteur de ce blog.

Sources : Childbirth Without Fear, Pinter & Martin, 2013 (première édition : Heinemann Medical Books, 1942).

134 vues0 commentaire

Posts récents

Voir tout

留言


bottom of page